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Carlos Bianchi : “Riquelme frappait le ballon comme on fait une caresse”

Au bout du fil, l’accent chantant de Carlos Bianchi s’emballe, et ce n’est pas pour décrire le Dijon-Rennes sur lequel il garde d’un œil pendant la discussion. L’ancien attaquant du Paris Saint-Germain, qui partage aujourd’hui son temps entre son Argentine natale et sa France d’adoption, est un témoin privilégié de l’évolution du numéro 10, dont il a entraîné certains des représentants les plus illustres. Le 28 novembre 2000 à Tokyo, il était même aux premières loges, depuis son banc, pour savourer la démonstration de Juan Román Riquelme contre le Real Madrid, en Coupe intercontinentale. Entretien avec un amoureux passionné des numéros 10.



Qu’est-ce qu’un meneur de jeu, pour vous ?

Le numéro 10 comme je l’interprète, c’est celui qui doit marquer le tempo de l’équipe. C’est le créatif. Il doit voir s’il faut jouer vite ou pas. Il peut calmer le jeu. Il a la clairvoyance, la technique. Quand il prend le ballon, vous êtes tranquille. Un meneur de jeu, pour moi, c’est extraordinaire. C’est très important, dans un système de jeu, de jouer avec un vrai numéro 10. Certains entraîneurs utilisent le 10 comme deuxième pointe ou le font jouer sur un côté, à gauche ou à droite, mais pas vraiment comme meneur de jeu. Quand vous jouez en 4-3-3 avec un milieu défensif et deux demis à côté de lui, vous ne jouez pas avec un vrai meneur de jeu. Quand vous jouez avec un 4-3-1-2 ou un 3-4-1-2, vous pouvez le faire. Il faut donner au numéro 10 l’importance qu’il mérite.


Votre compatriote Ricardo La Volpe dit ne pas aimer le 10 parce qu’il ne veut pas dépendre d’un seul joueur. Qu’en pensez-vous ?

On pourrait aussi dire ça si on n’avait qu’un seul buteur dans l’équipe. Le meneur de jeu, s’il est pris à la culotte et s’il est dans un mauvais jour, il peut quand même être très important. S’il commence à balader à droite, à gauche le demi défensif qui le marque laisse un trou au milieu de terrain. Il est toujours utile.


Sur le banc de Boca, vous avez remporté la Coupe intercontinentale en 2000 face au Real Madrid, grâce à un excellent Juan Román Riquelme. Quel souvenir gardez-vous de son match ?

Contre le Real, Riquelme a joué contre Makelele. C’était un sacré client. Mais je peux vous assurer qu’il n’a pas réussi à le prendre, parce que pendant quatre-vingt-dix minutes, Riquelme était le meilleur joueur sur le terrain. Il savait très bien quand accélérer, quand calmer… Il y avait 2-1 à la 11e minute, il fallait encore jouer tout le match. Et là, Riquelme était très important. Il a su conduire le match à sa façon, pas comme le voulait le Real Madrid. Ils avaient une sacrée équipe, mais on a joué le match comme Riquelme l’a voulu. Riquelme faisait des choses… Il n’y a que lui qui les faisait. Des petits ponts en contre-pied, avec la talonnade… Des choses incroyables ! En plus, il frappait le ballon comme on fait une caresse. Je lui donnais la confiance nécessaire pour qu’il joue comme il le voulait. La seule chose que je lui demandais, c’est que, quand on était attaqué, qu’il accompagne l’attaque adverse. Qu’il soit toujours derrière le ballon. Quand on récupérait le ballon, il fallait qu’il soit près et libre. Quand vous avez le ballon, vous ne pensez pas à défendre. Les dix joueurs sont en train de construire l’attaque, tout le monde a la tête à l’attaque. Il faut que le meneur de jeu trouve la place pour que, quand son équipe récupère le ballon, il soit libre. Surtout, avoir l’intelligence de se replacer tout de suite dès que son coéquipier récupère le ballon. Un meneur de jeu n’a besoin que d’un demi-mètre, parce qu’il est techniquement très doué. Pour contrôler le ballon, il n’a pas besoin d’un mètre. Dans vingt centimètres, il contrôle le ballon.



Avec le recul, qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez Riquelme ?

Tout, tout, tout ! Il m’a marqué sur tout le temps que l’on a passé ensemble. Même quand je suis allé à l’Atlético de Madrid, j’ai voulu l’acheter. Je n’ai pas pu, il avait donné sa parole à Villarreal. Mais après, on s’est retrouvé en 2013/14, à Boca. Il prenait le ballon, et c’était un plaisir de le voir. La réalité est là.


Riquelme disait que du lundi au samedi, le foot était un travail, mais que le dimanche, le jour de match, c’était un plaisir. Vous l’avez ressenti comme ça aussi ?

Oui, c’était vrai pour lui, parce qu’il jouait le match comme s’il était dans son quartier. C’était quelqu’un de très décontracté. Il sentait le football. Allez voir le match que l’on a perdu contre le Bayern Munich, à Tokyo (en 2001) ! Un match entier avec un joueur en moins, après l’expulsion de Delgado [en fait à la 45e, ndlr]. Allez voir ce qu’il a fait : ils lui ont donné des coups, à droite, à gauche, ils ne pouvaient pas l’attraper ! Et grâce à lui, avec un joueur en moins, on a joué un match d’égal à égal avec le Bayern, et on a perdu à quelques minutes de la fin de la prolongation. C’était lui. Il gardait le ballon. Il n’y en aura plus jamais, de Riquelme.


Vous avez également entraîné Francesco Totti à la Roma, en 1996. Comment cela s’était passé entre vous ?

Totti, au départ, ils ne savaient pas très bien s’il pouvait être un attaquant de pointe, deuxième pointe… Mais quand je le faisais jouer, c’était plutôt comme meneur de jeu. C’était un joueur clairvoyant, il voyait loin. C’est très important. Tout le monde n’arrive pas à faire une passe de quarante mètres. Ce n’est pas parce que vous avez une bonne frappe que vous arriverez à le faire comme il faut. Techniquement, il était très doué. Et en plus, il avait un appétit offensif très important.


Quels numéros 10 historiques vous ont particulièrement marqué ?

Pelé, qui décrochait un peu parce qu’il aimait partir de loin. Puskás, c’était un numéro 10 qui jouait en pointe. Di Stéfano, c’était un numéro 9 qui jouait partout. Un qui était un phénomène, c’était Bochini. Susic, c’était un meneur de jeu extraordinaire. Il marquait le temps. Il faisait jouer l’équipe à sa façon, il donnait des caviars extraordinaires à ses attaquants. Rivera aussi, c’était un grand meneur de jeu, un numéro 10 extraordinaire. Mazzola, c’était plus un deuxième attaquant, ce n’était pas un meneur de jeu. Il pouvait jouer comme deuxième pointe.


Et Maradona ?

Maradona, ce n’était pas un meneur de jeu. C’était un attaquant. Faire jouer les autres n’était pas sa principale qualité. Un vrai meneur de jeu va décrocher, marquer le tempo. Maradona, quand il prenait le ballon, il ne pensait qu’à attaquer. Le meneur de jeu prend son temps, jouer là, là, là, et à un moment donné, il tentera peut-être une passe de quarante mètres.


Votre époque de joueur était-elle plus propice pour les numéros 10 ?

Je ne sais pas si le jeu était plus lent. Mais il y avait quelqu’un qui devait réfléchir. La nouvelle règle du hors-jeu favorise les attaquants. À mon époque, si on était sur la même ligne que le défenseur, on était hors-jeu. Donc on devait être un mètre devant le défenseur. Et avant, si vous partiez au but et que le dernier défenseur faisait faute, il n’y avait pas expulsion. Dans les années soixante et soixante-dix, c’étaient des assassinats ! Il y avait un stoppeur, un libéro et le milieu défensif qui prenait le numéro 10 partout. Aujourd’hui, les règles sont à l’avantage des attaquants. Aujourd’hui, on demande à tout le monde de courir. Je le comprends très bien, mais après, pour la phase offensive, vous n’êtes pas frais.


Le numéro 10 à l’ancienne survit-il mieux en Argentine qu’en Europe ?

Le numéro 10 en Argentine, c’était comme le numéro 10 en Europe, sauf qu’en Europe les systèmes de jeu ont fait que l’on a laissé de côté le meneur de jeu. En Argentine, on aime le meneur de jeu, le joueur qui réfléchit. On aime avoir un meneur de jeu.


Quels sont les numéros actuels, selon vous ?

Il ya Eriksen, Isco, James Rodríguez, qui était un vrai numéro 10 mais aujourd’hui reconverti au milieu de terrain. Hazard pourrait l’être, il a un dribble offensif très important, il marque le déséquilibre dans la défense adverse, mais il donne beaucoup de ballons de but à ses partenaires. C’est extraordinaire comme il contrôle le ballon. Messi quand il aura trois ans de plus et qu’il n’aura peut-être plus son coup de rein. À Rennes, il y avait Ben Arfa. C’est un très beau joueur, un bon meneur de jeu. La seule chose qu’il faut lui expliquer, c’est qu’il fasse le nécessaire pour essayer de ne pas en faire de trop. Qu’il ne joue pas pour lui mais pour l’équipe. Techniquement, il est très doué, il a une très bonne frappe, un dribble extraordinaire, il est assez rapide. C’est un meneur de jeu qui pourrait jouer dans n’importe quelle équipe.


Beaucoup de 10 argentins, Diego Maradona notamment, sont issus des potreros. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il n’y a plus de potreros, en Argentine. Il en reste peut-être à l’intérieur du pays… C’étaient les terrains vagues sur lesquels on jouait toute la journée au football. Cela n’existe plus à Buenos Aires. Aujourd’hui, ce sont des terrains synthétiques. Mais il y aura toujours des joueurs très doués techniquement, même s’ils n’ont pas joué sur le potrero. Aujourd’hui, la plupart des joueurs viennent de très bons terrains de foot. Ça fait plus de vingt ans qu’on a des terrains synthétiques, des terrains bien meilleurs qu’il y a cinquante ans.


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